Désenclavement du Vercors Drôme: de la voie muletière au tunnel des Grands Goulets
Le désenclavement et l'ouverture des routes
Le tourisme prendra son véritable essor après le second conflit mondial avec le développement des moyens de locomotion individuels et l’aspiration des citadins à oublier pour un temps la vie trépidante de leurs cités. Les automobiles et les cars vont alors conquérir le Vercors… Combe Laval, le col de Rousset, les Goulets… Les Grands Goulets ont longtemps constitué la curiosité naturelle la plus sensationnelle du Vercors. Les cars aux dimensions modernes ne les franchissent qu’avec difficultés, certains chauffeurs refusant même d’emprunter ces routes spectaculaires. Un service de chauffeurs « pilotes » est mis en place pour la montée des Goulets, où un chauffeur local remplace le conducteur attitré. Le réseau routier sera progressivement adapté au trafic moderne. Mais avant d’en arriver là, il nous faut vous raconter la longue et complexe histoire du désenclavement de Vassieux et des communes aux alentours.
En effet, depuis les temps immémoriaux jusqu’au début du 19ème siècle, le chemin qui permet de relier la vallée de la Drôme (Die) au Royans, passe par le col naturel du Rousset puis par le chemin de l’Allier, une voie muletière reliant Pont en Royans et Saint Martin-en-Vercors. De nos jours, on peut toujours emprunter ce chemin de randonnée. Dès la fin du 18ème siècle, il est de plus en plus emprunté par les commerçants (bois, fourrage) et les riverains. Ces nécessités du transport du bois conduisent donc les communes à entreprendre des travaux (1774 -1804) non sans avoir tergiversé entre le projet de réfection et d’élargissement du sentier de l’Allier, ou la création d’une route dans la gorge des Goulets. (« Établissement des routes dans le massif du Vercors – 1921 – éditions Persée)
La longue mise en œuvre du ce projet reflète aussi la prise de conscience des communes du canton de Die du potentiel commercial du Vercors qui risque de se déverser vers le Royans. En effet, dans l’esprit des élus, il s’agit bien de créer un « chemin de grande communication » entre Die et Pont en Royans.
En 1834, après la décision du Conseil Général de la Drôme de réaliser cette route au fond des Goulets, il y eut quelques années de flottement. De 1836 à 1840, les études des ingénieurs n'avancent guère. Les discussions reprennent en 1840. Elles durent trois ans. Et les contre-propositions ne manquent pas. En juillet 1840 par exemple, le maire de Saint- Jean-en-Royans écrit au préfet :
« L'utilité d'un chemin qui traverserait toute la forêt de Lente, située dans la commune de Bouvante, et lierait Saint- Jean avec La Chapelle est tellement sentie et donnerait une si grande valeur aux bois de l'Etat et des communes que l'administration forestière est dans l'intention de rouvrir la route qui avait été faite pour aller à Lente : de là il n'y aurait plus- qu'environ un myriamètre de chemin à tracer ou rectifier pour arriver à La Chapelle-en-Vercors. Il me semble que ce projet coûterait infiniment moins et servirait plus utilement ces deux cantons que celui proposé à travers les Goulets d'Echevis. ».
Sans oublier la réflexion sur un autre projet de tracé par Chatelus et le col de Meselier. On pourra noter que le Conseil municipal de Vassieux a vainement tenté d'obtenir que la route de La Chapelle au tunnel du Rousset passe par Vassieux. L'argument était que la longueur de la route était d'un kilomètre moindre. Mais le dénivelé global plus important. Cette tentative fut un échec, et une grande déception pour Vassieux qui resta à 'écart du trafic entre Die et le Royans.
L'adjudication principale eut lieu à Valence, le 9 septembre 1843. Plusieurs entrepreneurs vont se succéder sur ce projet complexe et coûteux.
« La tâche présentait des difficultés inouïes. Dans les Grands-Goulets, l'érosion a été uniquement verticale et, comme le lit du torrent est très étroit, il en résulte un encaissement prodigieux. Rien où s'agripper; rien où poser le pied. Constamment, les ouvriers durent, suspendus à des "cordes munies d'une sorte de siège, travailler au-dessus du vide à poser des crampons dans le roc. Plus d'une fois il y eut mort d'homme. La percée des tunnels nécessita des efforts gigantesques. Si l'on joint à cela la difficulté d'amener à pied d'œuvre le matériel indispensable, on comprendra quel labeur de Titans a été réalisé en ce point. Pour l'époque où elle a été exécutée, c'est vraiment une œuvre grandiose ».
Die défend ce projet et confirme sa volonté d’établir une voie de communication Nord-Sud, malgré certaines réticences à participer au financement. En 1854, le sous-préfet soulignait dans son rapport :
« Le chemin n° 10 offre maintenant une issue parfaitement praticable aux voitures : les Grands et les Petits-Goulets, où l'art a réalisé une de ses plus hardies conceptions, présentent une excellente voie, partie en tunnel, partie en encorbellement... »
Il ne faut pas perdre de vue, la lourdeur du projet financier dont l’exemple du conseil municipal de La Chapelle en Vercors qui vote en 1844, un budget extraordinaire pour terminer la route. En 1904, on comptait déjà, trois hôtels au Barraques. Durant l'année 1928, 21 000 personnes empruntent déjà la route des Grands Goulets.
Le chantier du tunnel actuel, le tunnel des Grands Goulets, débute en 2004. Il constitue le plus gros chantier de travaux publics français entrepris sur une route départementale. (1710 m long) avec la mise en œuvre de techniques novatrices et de matériaux modernes. L’inauguration a lieu le 28 juin 2008. À la suite d'accidents, la partie la plus spectaculaire de la route, mais aussi la plus dangereuse, est fermée en 2004, non sans quelques déceptions notoires.
L’accès par le sud du Vercors, par le tunnel du Rousset, a également connu des péripéties et des luttes d’influence. Déjà en 1833, le sous-préfet de Die insistait sur l’importance sociétale d’une voie de communication fiable entre le Vercors et le Diois.
« Elle mettrait fin aux habitudes de dévastation et de fraude qui sont malheureusement trop communes chez les habitants du Vercors et qui les mettent sans cesse aux prises avec la justice correctionnelle. La facilité de se procurer des moyens d'existence par une industrie légitime les ramènerait à des sentiments plus honnêtes et, d'un autre côté, l'aisance revenant dans cette contrée lui permettrait d'y établir avec succès des écoles primaires dont le besoin est bien senti ».
Plus tard, en 1857, suite à l’ouverture de la route des Grands Goulets, le conseil d’arrondissement de Die affirme « qu'il fallait sans retard percer le col de Rousset, faute de quoi le Vercors, qui se trouvait relié au Pont (en Royans), où il prendrait l'habitude de faire ses affaires…» Il constate « que les habitants du Vercors ne se rendent plus à Die que pour affaires judiciaires ».
Le passage par le col de Rousset était périlleux. En 1850, un inspecteur des forêts avait failli y périr, et des accidents étaient fréquents. Depuis plusieurs dizaines d'années, seul le dévouement du père Granjon qui avait sauvé et recueilli nombre de voyageurs avait permis d'utiliser ce chemin. Octogénaire, il était devenu aveugle et impotent. Sa cabane tombait en ruines. Finalement, Die vote en 1861 l’accord sur le percement du tunnel. Le 14 aout 1866 son ouverture parachève l’accès au plateau du Vercors et ouvre une nouvelle ère.
Un rapport que l'agent voyer en chef de la Drôme adressé au préfet le 27 juillet 1860 souligne « avec quelle rapidité les effets s'en sont fait sentir ». Tout en faisant la part de l'évidente exagération, retenons l'importance de ce fragment :
« Quelle amélioration dans ce canton (La Chapelle) qui est peut-être le mieux cultivé du département! A la place de terrains incultes qu'on y trouvait il y a quelques années, on voit une végétation florissante, des céréales et des fourrages en abondance; pas le moindre coin de terre inculte, et des canaux d'arrosage qui sillonnent et irriguent en tous sens les prairies. Les habitants se sont civilisés et livrés complètement à l'agriculture: plus de délinquants et pour ainsi dire plus de misère. Chacun travaille sa propriété, l'améliore et recherche constamment le moyen de lui faire produire davantage »
Le tunnel initial était soumis, côté sud, aux avalanches, ce qui entraîna des catastrophes. De plus il fut partiellement dynamité pendant la seconde guerre mondiale. Des vassivains racontent que ce tunnel était fermé en hiver par une grande porte et qu'il fallait l'ouvrir, lorsqu'il gelait, à l'aide d'une masse déposée à l'entrée. L’actuel tunnel sera percé en 1978.
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